Machines, boulons et vices

Laisse mes doigts danser et te raconter. J’ai peur de ma propre écriture, de ce qu’elle pourrait raconter de mes vices, de mes péchés, de ma nervosité et de mon caractère fébrile toujours en mouvement.

Laisser les autres voir la vérité d’un être créé de toutes pièces, comme un château de carte qui tient à de petits artifices, voilà la difficulté. Laisser voir son corps. Son coeur. Se laisser aller. Et Partir. S’enfuir dans des endroits où je ne suis jamais allé, où je n’ai d’ailleurs jamais eu accès.

Des endroits de confiance et de dangers, de lâcher prise et de communion.

Avec mon corps et moi, entiers. Ca je ne le connais pas. Je ne l’ai encore jamais connu.
Me laisser aimer tel que je suis n’est pas facile.

Mon corps est machine, steampunk tenue par des boulons d’injections, des réglages censés être précis mais souvent approximatifs. Des modulations de sons et d’expressions. C’est le jeu des codes et des ajustements sociaux. Mon corps est ma machine. Elle est moi et je suis elle. Ma création, mon territoire. Mon terrain de jeu. D’expérimentations. De ratés, de fêlures, de gouffres et de cratères énormes dans lesquels pourrait se perdre le monde.

Mais la machine tient. Alimentée par une force de vie que parfois je n’explique pas. Elle tient, elle se transforme, elle s’adapte. Et je tiens avec elle. Ensemble, nous dérivons dans des eaux inconnues et avec elle je me sens protégé.

Elle est mon vaisseau spatial dans lequel j’ai navigué entre tellement de mondes. Mon navire, qui a pris des formes tellement diverses que parfois je m’y perds. Nous avons parcouru des immensités de distances dans un bac à sable. Et je ne sais plus qui est qui. Qui fait quoi. Ou qui baise qui. En réalité, plus rien n’a d’importance et ma coquille joue sur le flou.

Mais je veux reposer la machine. Je veux trouver un rivage qui accueille toutes mes déviances. Qui m’ouvre entièrement les bras et qui me dise : Tu es ici chez toi. Mais rien. Alors j’oscille. Je cours d’Est en Ouest, du Nord au Sud. Je cherche d’autres machines cassées à qui parler. A qui montrer tout ce qu’il existe en dessous des boulons et des vis branlantes. Nous sommes beaux. Nos bateaux sont troués et prennent parfois l’eau, mais tant qu’on écope, ils flottent toujours et nous ont déjà mené.es si loin.

Je veux et voir connaître les rouages des autres. Montre moi tes cicatrices, les marques du temps ou de la vie sur ta chair et on se dira qui on est. Je ne suis pas avide de corps parfaits. J’aime les défauts, les petits riens, la beauté cachée dans un rictus, une mimique ou un rire. Nos corps hors des normes sont beaux.

J’aime ma machine, alors je la répare. Chaque injection la sauve et nous sauve. Chaque muscle qui se dessine, chaque poil qui pousse est une victoire sur le destin. Une bataille de gagnée sur des millions de perdues auparavant. Chaque injection est ma revanche. J’ai pris ma machine cassée, brisée, qui n’avait jamais vraiment fonctionné et je l’ai ré-apprivoisée. Je lui ai parlé, je l’ai cajolée, je l’ai entendue et je l’ai réparée.

Je veux l’écouter et comprendre tout ce qu’elle a me dire, tout ce qu’elle ressent. C’est un vaisseau merveilleux qui mérite toutes les attentions de mon monde. Nos machines ont besoin qu’on s’y attarde. On appelle ça de l’interdépendance vitale. Nos corps ont le droit d’être libres. Libérés de tous les carcans imposés, inoculés dès notre plus jeune âge et qui nous empêchent de vivre pleinement.

Survivre ? Pourquoi pas. Mais heureux ? Jamais. Enfermé.es dans des corps pressurisés par des normes arbitraires, rigides et mortifères, vous mourrez tous.tes à petit feu. Vous ne supportez pas notre liberté alors vous nous préférez misérables.

Mais moi je veux danser, je veux rire, je veux jouir sur les débris de mes peurs pour conjurer le sort. Je veux pouvoir exploser, tout péter et crever les yeux des jaloux avec mon bonheur et ma joie.

Oui, les indécents détestables que nous sommes veulent aussi y prétendre.

Nous avons pris le contrôle de nos machines, capté le mode d’emploi, réutilisé nos vices et nos boulons jusqu’à en faire des armes de guerre contre vos mondes. Alors prenons soin de nous, des nôtres et de nos machines. Nous sommes bien trop précieux et précieuses pour les laisser nous faire mourir silencieusement et vivre tristement.

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